Je demande le calme

On y est : c’est le vingt-cinquième et dernier jour de mon calendrier.

J’ai écouté le week-end dernier cette belle interview de Margaret Atwood au micro de Lauren Bastide, et elles sont revenues ensemble sur un article qui avait à l’époque attiré beaucoup d’ennuis à celle qui nous a pourtant offert La Servante Ecarlate. L’autrice y avait tenu le propos selon lequel la délation sur les réseaux n’était pas une solution, dans le sens où elle était symptomatique d’un système judiciaire qui ne fonctionne pas. Nous n’avons pas d’autre option que de balancer nos porcs sur la toile, parce qu’on classe nos plaintes sans suite. Elle a été très critiquée pour cette position, pour ne pas avoir fait preuve d’empathie envers les victimes.

Nous souffrons d’un préjugé qui arrange bien les Jean-Michel Détractos, le fameux « vous n’êtes pas d’accord entre vous ». Et c’est vrai. Nous ne sommes pas un parti politique, nous sommes un mouvement. Nous échangeons, dialoguons, changeons d’avis, rediscutons.

J’entends aussi souvent « celles qui s’énervent ça dessert la cause » : gloups. Moi, je ne m’énerve plus, mais c’est parce que je ne m’agite pas pour une cause perdue. Vous devriez remercier celles et ceux qui prennent du temps pour le faire.

Quant à desservir la cause? J’ai envie de soupirer tout l’air qui est dans mon corps quand j’entends ça. J’ai vraiment la sensation que c’est juste un argument de plus pour se rassurer de ne pas s’impliquer plus que ça, honnêtement.

Avant de devenir féministe, j’ai d’abord été une écologiste passionnée. Énormément de choses me mettaient en colère, dont les personnes qui se donnaient un air « zero waste, bio only » pour ensuite s’acheter de l’eau dans une bouteille en plastique et des produits d’hygiène bourrés de conservateurs. Je trouvais ça hypocrite.

Aujourd’hui, je pense qu’il vaut mieux faire les choses de façon imparfaite, quitte à un jour de grande pépie, s’acheter une bouteille en plastique, que de rien faire du tout. Toutes les personnes dont le discours s’axe sur l’écologie et la défense de notre environnement mènent un combat que je partage et méritent mes hochements de tête d’approbation en société. Le contenu de leurs tiroirs ne me regarde pas.

Concernant le féminisme, je suis dans la même mouvance : nous avons besoin de chaque personne. Je ne me vois pas marcher main dans la main avec des personnes qui pensent que les travailleuses du sexe sont d’office des victimes ou qui ne reconnaissent pas les personnes trans ‘. Mais en dehors de ces principes qui nous divisent, j’ai envie de prendre chaque féministe dans mes bras et de la remercier pour être toujours debout. Peut-être que nous ne sommes pas d’accord sur le congé paternité et peut-être que nous ne voyons pas la domination masculine de la même façon. Peut-être qu’un jour elle a insulté une autre nana car elle la trouvait trop vulgaire, peut-être que plus jeune elle a manqué de recul.

Notre société manque de nuances et besoin d’espace de paroles et de débats. Cette lutte sera longue. Nous aurons des moments d’euphorie et de découragement, d’espoir et de déceptions : nous avons besoin de tout le monde.

Un jour, j’ai dit d’une personne qu’elle était une mal-baisée : une amie (que j’aime très très très fort) m’a reprise et ça a mis un moment à cheminer dans ma tête, je me souviens avoir argumenté « oui mais cette personne est méchante parce qu’elle est frustrée » et je suis vite tombée à cours : sa satisfaction sexuelle n’avait rien à voir là-dedans. C’était une personne cruelle et acariâtre, injuste et au comportement néfaste pour toute vie humaine environnante, et j’avais le droit de dire nombre de choses à son sujet, mais pas ça. Aujourd’hui le mot me fait horreur, car j’ai vraiment intégré que la valeur de personne n’est liée à sa performance ou à sa satisfaction sexuelle, et ça me dégoûte même un peu d’y penser. C’est aussi pour cela que je prends le temps gentiment de l’expliquer, lorsque c’est à mon tour de renvoyer l’ascenseur.

J’avais commencé en vous proposant une ode au drame, et je vous propose de finir avec un peu de calme. Pour avoir le temps de lire des livres et pas seulement le titre des articles qui défilent sur vos feeds. Le calme pour avoir le temps de penser, réfléchir, construire une opinion et changer d’avis, prendre soin de soi aussi.

Aujourd’hui, c’est ma façon d’être féministe.

Cette fois, c’est (vraiment) tout pour moi. Merci beaucoup pour vos messages et pour les chouettes discussions que j’ai eu l’occasion d’avoir avec vous durant le mois de décembre. C’était un plaisir de consacrer mon temps libre à ce projet et je suis très heureuse d’être allée au bout.

C’est fatiguant, d’être féministe. De façon générale, je ne suis pas contre le débat, pourvu qu’il soit un minimum constructif. Mais cette question « Non mais ça va vous avez le droit de vote, qu’est-ce qu’il vous faut de plus ? me rends dingue.

Du 1er au 25 décembre, j’ai rédigé un article par jour sur ce sujet, que vous trouverez ici. Chaque jour, une réponse plus ou moins cinglante, pour égayer vos repas de famille et vos apéros Zoom : et si grâce à moi, vous ne passez pas de meilleures fêtes de fin d’années, gardez bien en tête que ce qui ne fait pas partie de la solution, fait peut-être partie du problème.