La première fois que j’ai entendu parler de Britney Spears, j’avais entre huit et dix ans : je n’ai pas entendu sa musique mais je l’ai vue, elle, partout sur les murs de la chambre de ma voisine Floriane, qui avait deux ans de plus que moi et le droit de regarder la trilogie du samedi, soit Charmed et Buffy contre les vampires, qui ornaient également sa chambre, du sol au plafond. Elle me donnait les posters dont elle ne voulait pas et j’ai petit à petit garni ma chambre de cette jeune femme blonde qui avait l’air si cool et si gentille. Avec Floriane on lisait des magazines sur les stars et j’apprenais entre-autres qu’elle venait du fin fond des états-unis, qu’elle avait fait le Mickey Mouse Club (aucune idée de ce que c’était alors), que son petit ami était Justin Timberlake (idem, inconnu au bataillon) et qu’elle se réservait pour lui, ce qui voulait dire qu’elle restait vierge, ce qui faisait lever les yeux au ciel mes parents.
Je n’ai donc pas connu sa musique tout de suite mais c’est venu avec le temps : je suis moi-même devenue une ado. Une ado pour qui Noël ne voulait plus dire déballer à la hâte des paquets le 25 décembre en se demandant si le père Noël avait bien reçu sa liste, mais une ado qui considérait que ça lui était dû, Noël, et qui énumérait de septembre à décembre une foule d’objets qui ne servaient plus à jouer. Jouer, c’était fini, je l’avais compris avec une certaine honte devant mes Polly Pockets dont je ne savais plus quoi faire. Alors je faisais des listes avec des objets comme des disques, un baladeur CD, ou des choses moins palpables mais hautement significatives comme le droit de se faire percer les oreilles.
À ce moment-là, Britney c’est toute ma vie : j’ai des posters du sol au plafond, je regarde Crossroads tous les week-ends et le jour où j’ai mes règles et où je pleure depuis des heures dans mon lit (j’avais bien compris que c’était le début des emmerdes) ma maman n’arrive à me consoler qu’en me disant que Britney aussi est passée par là.
Lorsque je vais chez le coiffeur, j’emmène toujours une photo de Britney (et je suis toujours un peu déçue de ne pas plus lui ressembler en sortant). Elle porte souvent des casquettes gavroches, j’en veux une aussi. Et puis bien sûr quand ses albums sortent, je supplie mes parents de me les procurer le plus vite possible : mais les parents des autres sont plus rapides (alors qu’elles aiment moins Britney que moi) et c’est toujours une terrible injustice et un chagrin comme seules les adolescentes peuvent le vivre.
Tout le monde grandit, moi avec, on écoute d’autres choses, et petit à petit Britney c’est mon petit secret. Pas un secret honteux – je n’ai pas honte de Britney, jamais ! – mais je sens bien que ce n’est pas cette passion qui va me rapprocher des autres. Et à cette époque-là, je déménage beaucoup, je change souvent d’école et ma hantise c’est de ne pas réussir à m’intégrer : d’ailleurs, ça arrive une fois ou deux, que ça foire, que ça foire complètement même. Les adolescents sont cruels. Et ne venez pas me dire que « les filles sont méchantes entre elles » car c’est faux. Les mecs, à cet âge-là, savent déjà très bien ce qu’ils font, eux-aussi.
À cette époque, patatras : Britney pète un câble. Elle agresse des journalistes, fait la une des journaux en pyjama, semble très fatiguée et elle se rase la tête. Et je ne comprends pas : comment Britney qui a une vie de rêve se met dans des états pareils ? Je demande à ma maman (qui sait tout) et elle m’explique que parfois, les gens connus deviennent fous, parce que la célébrité c’est difficile à gérer. Cette explication ne me satisfera jamais.
Et puis je l’abandonne : j’arrête d’écouter ses nouveaux albums, même si je garde toujours Toxic, Oops I did it again et Baby one more time dans un coin de mon mp3. Je développe des goûts propres qui ne sont pas liés à des posters récupérés chez les autres et tout doucement je deviens une adulte. Et de temps en temps je tombe sur des personnes comme moi qui aimeront toujours Britney de tout leur coeur et ensemble nous nous posons la question : qu’est-ce qui a bien pu se passer ?
Plus tard, j’ai cru comprendre avec les réseaux-sociaux et en suivant toutes les mini-Britney qui ont suivi, façonnées par Disney : Miley Cyrus bien sûr, Selena Gomez, Demi Lovato … toutes ont traversé des tempêtes en devenant adultes et je me disais « ben oui, c’est ça qui est arrivé à Britney : elle est devenue adulte et c’était la première à passer par là, elle n’a eu personne pour la soutenir ». A ce moment-là, je suis étudiante et mon amie Marianne un soir a fait un grand écart incroyable sur « Toxic ». Avec mon groupe de copines, Britney c’est notre adolescence, on le revendique en soirée, ce n’est plus mon petit secret mais ce n’est pas très original non plus, finalement. Tout le monde se moque de ce type qui fait le buzz sur Youtube en pleurant « leave Britney alone » et je n’arrive jamais à en rire car je suis d’accord avec lui : est-ce qu’on a pas autre chose à faire que de la photographier au McDo avec ses enfants sur les genoux ?
Il y a quelques années, en même temps que le monde entier, je découvre que Britney a Instagram, et qu’elle en fait une utilisation déroutante. Un podcast y est même consacré et ses fans les plus fidèles décryptent chacun de ses posts : on y comprends qu’elle est plus ou moins enfermée dans une prison dorée par un contrat de tutelle qui la lie à son père – qui se fait un fric fou sur son dos. Même Paris Hilton affiche un t-shirt « Free Britney » et tout le monde s’y met.
Pour moi, c’est la revanche dont je rêve depuis gamine : Britney n’était pas folle, et par là, moi non plus. J’ai l’impression que le monde des ados gagne sur le monde des adultes : on avait raison, elle n’avait pas « juste pété un câble comme toutes les personnes célèbres ». Il se passait des choses graves, et on aurait du l’aider. La société s’est désintéressée d’elle comme d’une vieille chaussette une fois qu’elle n’était plus mignonne et souriante. Je me sentais proche d’elle à nouveau comme si nous avions traversé la même chose : lorsqu’elle s’est rasé la tête moi aussi j’étais fatiguée de faire de mon mieux pour être acceptée dans les nouvelles écoles. C’était pas juste de ne pas avoir le droit d’être simplement moi-même, je ne leur devais rien à ces gens qui avaient eu la chance de tous naître ensemble, au même endroit et de se connaître depuis leurs premières dents. Je trouvais tout le monde débile et j’envoyais tout balader.
Un procès approche et on espère toutes et tous qu’elle sera enfin libre. D’autant qu’en parallèle un documentaire du New York Times met à jour un bon nombre de ses souffrances passées, entre abus des paparrazzis et instrumentalisation de sa famille pour se faire un maximum de blé : Britney n’est pas que la victime de Disney, de sa famille qui n’en avait jamais assez, elle était la victime de nous toutes et tous. Ça paraissait évident, tout était sous nos yeux depuis le début, mais personne n’avait jamais eu envie de regarder la vérité en face, voilà tout. Et cette affreuse séquence où Justin Timberlake insinue qu’ils ont couché ensemble alors qu’elle clame le contraire, et devient the slut number one dans tous les Etats-Unis me DEBECTE : Justin Timberlake devient alors tous les ados qui m’ont fait du mal, tous les hommes qui ont fait du mal à mes amies, tous ces pauvres types qui n’ont soit-disant jamais rien fait mais qui ricanent de ce que font leurs potes et responsabilisent les victimes, bref je ne supporte plus de voir sa tronche. D’ailleurs, le visionnage de ce documentaire me plonge dans un profond chagrin.
Et elle gagne son procès. Ça y est, elle est libre ! Je suis tellement heureuse pour elle. Elle mérite d’avoir enfin la paix, accès à son fric, et de faire ce dont elle a envie. Sur instagram je la vois partir en vacances, faire du bateau, danser, manger des bonnes choses et porter des vêtements qui brillent. Elle tombe enceinte, perd le bébé, rompt avec son copain. Elle écrit un livre sur sa vie.
De mon côté j’ai acheté une maison avec mon amoureux, on fait les travaux nous-même ce qui épate régulièrement la galerie et on se marie. Je n’envie plus du tout Britney Spears et sa vie parfaite, au contraire je me sens triste pour elle. Sur ses vidéos instagram, ses danses sont frénétiques et son regard un peu fou, sa déco « manoir » me semble un peu ridicule et j’ai l’impression qu’elle n’est en fait pas si libre que ça.
J’avais mis des symboles très forts dans l’histoire de Britney Spears, j’y avais trouvé une raison de croire en des jours meilleurs. La vérité avait mis 20 ans à éclater, heureusement qu’elle avait tenu bon. Ça m’avait donné de l’espoir à une époque où les confinements s’enchaînaient et où je me demandais si la fin du monde était pour le lendemain ou le jour d’encore après.
Et en 2024, force est de constater que l’état du monde, entre les guerres qui s’accumulent, les injustices qui se multiplient, les leçons qui ne se tirent pas, les 1% les plus riches qui pillent la planète, les hommes qui continuent impunément à violer et à tuer, les dirigeants qui se comportent comme si on étaient toutes et tous des personnages non-jouables dans un jeu vidéo créé pour les occuper un peu … Moi aussi j’ai ressenti la rage, la colère, l’impuissance. J’ai eu envie de casser des trucs. De tout envoyer se faire foutre.
Je m’étais réjouie comme pour une amie de la finalité de son procès et surtout qu’on rétablisse enfin la vérité et la justice. Et l’autre jour, je me suis surprise à me moquer de la fameuse vidéo où elle danse avec des couteaux (et trois bichons qui ont l’air de s’interroger sur le sens de la vie). J’étais déçue : j’avais l’impression qu’on avait gagné quelque chose, mais c’était peut-être de la poudre aux yeux. Peut-être que rien n’avait changé dans sa vie.
Je ne saurais jamais, pour Britney : quand on connait des fragments d’histoires, on les complète avec des sentiments ressentis, des choses qu’on connaît. Ado, Britney était cette meuf si cool que je désespérais de devenir un jour. Adulte, elle était la victime que je voulais sauver. Mon amie Tamara m’a dit « On a toujours mis Britney dans une case, même pour sa liberté on continue à imaginer ce à quoi ça doit ressembler ». Britney n’est pas comme nous allée à l’école jusqu’à 18, voir 25 ans. Elle n’a pas appris un métier progressivement en se ré-orientant de temps en temps comme la plupart des gens. En apprenant des choses à son rythme, en faisant des expériences tranquillement. Elle n’a peut-être pas eu le temps de réfléchir à qui elle était vraiment et ce qu’elle avait profondément envie d’accomplir. Et moi je suis là à juger la décoration de sa maison, à trouver qu’elle a un vocabulaire pauvre et à estimer qu’elle pourrait faire des choses plus intéressantes de sa liberté retrouvée. Peut-être que Britney a toujours aimé danser à demi-nue avec des couteaux entouré de petits caniches mignons. Et j’espère de tout coeur que c’était vraiment de ça dont elle avait envie.
J’en demandais peut-être beaucoup à Britney.
On fait toutes les deux (et vous aussi, bien sûr que vous aussi) bien ce qu’on peut.